Les chagrins, Judith Perrignon

Rentrée littéraire/2

Les chagrins est un drôle de roman-puzzle : tous les personnages tentent de reconstruire une femme pleine de vide, un personnage muet, voire absent, maintenant mort. Helena a été une des dernières prisonnières de la Petite Roquette ; elle y a laissé sa vie, son être. Après sa sortie, elle n'a pas cherché à rattraper le temps figé en prison ; au contraire, elle s'est murée davantage. Alors, ce sont les autres qui la racontent, la construisent. Chagrins après chagrins. Pièce par pièce, une par personnage, pour constituer une image qui n’existe plus depuis longtemps, qui n’a peut-être même jamais existé.

Sa mère d’abord, Mila, à travers un chapitre épistolier à sens unique. Sa fille, surtout, Angèle, née en prison, qui part à la recherche de la jeune femme qui fut sa mère avant les barreaux gris d’une prison qui n’existe plus. Une recherche qui se fait malgré elle, alors qu’elle n’a plus vu sa mère depuis quinze ans. Un journaliste, ensuite, ancien chroniqueur judiciaire de cette histoire ratée de Bonnie et Clyde à la française. Autant de personnages qui retracent la vie d’Helena sans qu’elle s’en mêle. Sans qu’elle ne fut autre chose qu’un cœur brisé, une amoureuse laissée sur un quai de gare. Les chagrins se sont les siens, mais surtout ceux qu’elle a créé chez les autres. Chaque personnage raconte à son tour, parfois les voix se mélangent mais sans se rencontrer. Chacun donne sa version, avec ses mots, et c’est une des forces de ce roman. Passer de l’un un l’autre par les mots, sans autres indications.

Judith Perrignon a fait d’Helena un personnage central parfaitement creux qui met très joliment les autres en valeur et en rapport. Une fois morte. Des autres qui existent grâce et à travers elle, dont on ressent les propres chagrins. Les chagrins est le genre de livre qui fait rater son arrêt de bus. La respiration un peu bloquée, avide d’arriver au bout. Une histoire qui nous suit un peu, sur les chemins de la rue de la Roquette.