mardi 28 décembre 2010

Anne Berest s'installe sur le Fauteuil

Suite du Concourt et du FCS'Prize 2010, et à pic pour vous envoyer un petit cadeau de Noël à ma manière et un tantinet littéraire, voici l'interview d'Anne Berest; lauréate ex-aequo pour son premier livre, La fille de son père.


Anne Berest
Anne Berest est le genre de personne qui vous envoie un mail pour vous remercier d’avoir obtenu le prix littéraire de votre blog, même pas 24h après les résultats dudit concourt. Et déjà ça ça veut tout dire. Puis elle accepte une interview comme un rendez-vous pour prendre le thé, d’une simplicité à rendre moine n’importe qui. D’ailleurs, le thé c’est elle- même qui vous le préparera, et chez elle, dans cette charmante petite pièce, mi-entrée mi-bureau mi-table à manger (et oui je sais ça fait trois « mi »). D’Anne Berest ce que l’on sait elle dès que l’on entre dans son appartement parisien, c’est qu’elle aime les livres. De toutes sortes. Et vous êtes ravie de partager ça avec elle, en plus du fait que vous avez aimé le sien, de livre. Dans la conversation, il y aura d’autres points communs, mais pas celui d’être la deuxième d’une fratrie de sœurs. Ce point commun-là, elle le partage avec la narratrice de La fille de son père. Et c’est le seul. J’ai reçu avec un véritable plaisir Anne Berest sur le Fauteuil virtuel de FCS, même si en fait c’est moi qui étais sur le sien. (Moi, il faut juste que je lui avoue que je n’aime pas le thé en général mais j’ai réellement adoré le sien, japonais au riz soufflé.)

FauteuilClubSandwich/ Le livre a quasiment pour personnage central trois sœurs. Pourquoi écrire autour de la fratrie ?
Anne Berest/ On est trois sœurs chez moi. Et je me suis demandé ce que c’était de devenir adultes, de regarder ses sœurs et de se dire qui sont ces femmes. Au début, elles sont là, toutes les trois, très différentes et à partir du moment où elles se posent des questions sur leurs origines, sur leurs filiations, elles se retrouvent autour de leurs souvenirs.

FCS/ Au regard de l’histoire, la place de la deuxième semble être la plus difficile à tenir. Y-a-t-il une raison ?
Anne Berest/ J’ai travaillé sur la place de la 2e car c’est la mienne. Si on exagère les traits, et en littérature c’est souvent le cas, on retrouve des "profils" de sœurs. L’ainée essuie les plâtres -les parents sont plus sévères, ils ont peur des premières fois. Les petits derniers eux sont gardés le plus « enfant » le plus longtemps possible. Au milieu, c’est une place particulière. On fait tantôt partie des grands, tantôt des petits. Sans place définie. C’est pourquoi la narratrice est ballotée entre ses deux sœurs. J’ai grossi ce trait propre à sa place dans la fratrie pour en faire un personnage flottant.

FCS/ La narratrice, donc la deuxième de la fratrie et personnage central, semble en retrait de cette histoire, de sa propre histoire. Pourquoi ne l’avez-vous fait plus maitresse des événements ?
Anne Berest/ J’aimais bien l’idée qu’il y ait des gens à côté desquels on passe et qui ont l’air simples presque ballots et dont on découvre qu’ils ont une vie romanesque.  Ce sont des gens qui ne se mettent pas en scène mais qui sont souvent aussi intéressants que ceux qui le font. J’avais envie que l’héroïne soit comme cela, que rien ne transparaisse. Qu’elle semble, de prime abord, presque fade par rapport à ses sœurs.

FCS/ Pour les lecteurs, elle est d’ailleurs très en transparence, il n’y a pas de description physique, même pas de nom. Pour vous est-elle plus dessinée ?
Anne Berest/ Oui, pour moi elle est très précise. Très entière, très claire. Avant de commencer à écrire le livre, j’ai travaillé longtemps sur les trois sœurs. Même si je ne m’en suis pas servie, je savais au moins qui elles étaient.

FCS/ Le père aussi est très distant presque flouté. Etait-ce pour accentuer sa place un peu particulière, être présent sans vraiment l’être ?
Anne Berest/ Je ne me suis pas rendue compte en écrivant qu’il était si distant. C’est un homme qui se retrouve avec 3 jeunes femmes chez lui, et comme ça dû être compliqué, il a pris ses distances. Sans la mère qui n’est plus là, il a dû faire face à un vide et il se défile, comme quelqu’un en creux mais qui cristallise tout le reste. Un peu comme un centre de gravité invisible.

FCS/ Au-delà du père c’est toute la paternité de cet homme qui est remise en cause. C’était un thème incontournable ?
Anne Berest/ C’est une question ancestrale. Le mythe d’Œdipe, au-delà du complexe, c’est exactement ça. C’est parce qu’il ne connait pas le visage de ses parents qu’il va commettre l’irréparable, deux des grands tabous de la civilisation que sont le parricide et l’inceste… Ne pas connaître ses repères peut avoir des effets fracassants. Je n’ai pas voulu répondre à la question de cette place de la paternité ( Qui est le père ? Celui qui engendre ? Celui qui élève ?) mais juste poser une situation.

FCS/ Plusieurs scènes du livre représentent des repas de famille très fédérateurs, qui déclenchent les événements mais surtout avec un côté très théâtrale. Pourquoi avoir rythmé le récit de ces scènes, un peu comme des actes ?
Anne Berest/ A l’université je m’étais spécialisée sur la dramaturgie baroque, puis j’ai travaillé longtemps dans un théâtre. Ainsi me suis beaucoup inspirée de la dramaturgie classique dans la construction du roman, pour tenir le livre avec une unité de temps et donner envie d’aller à la page d’après. Chaque chapitre est une journée, afin que le livre soit court, serré, mon rêve était que je lecteur ne le lâche pas avant d’être allé au bout !

FCS/ Les repas de famille sont un moment que vous aimez bien de façon générale ?
Anne Berest/ En fait, j’adore les scènes de repas au théâtre comme au cinéma. Comme dans les films de Sautet ou de Woody Allen où tout se noue à table. Au théâtre, par exemple il y a une pièce de Pippo Delbono où ils sont 20 à table, et j’adore ça ; et comme moi j’aime ça, je me dis que les autres aussi ! Je ne suis pas sûre d’aimer ça dans la vraie vie mais au cinéma, au théâtre, le repas devient du spectacle.

FCS/ La fille de son père est votre premier livre. Comment avez-vous réagi par rapport aux critiques, notamment sur Internet ?
Anne Berest/ J’ai découvert ce monde par le livre, c’est très nouveau pour moi et très différent des retours habituels. Je pense que c’est une vision très intime avec des gens qui ne se rendent pas compte de l’impact des choses écrites, que cela peut blesser de lire une critique expéditive et brutale de son livre. J’ai mis de la distance par rapport à tout ça. Ce livre, au moment où je l’ai écrit, était, pour moi, le mieux que je pouvais faire. J’ai tellement travaillé… le travail permet de mettre des distances.

FCS/ Par coïncidence, la gagnante ex-æquo du concourt FCS est contrôleur aérien comme la troisième des sœurs. Pourquoi avoir choisi ce métier pas très courant ?
Anne Berest/ Je voulais montrer que Charlie était quelqu’un de lunaire, la tête dans les nuages et je voulais  un métier qui s’en rapproche. Dans l’idée, c’est très poétique comme métier, même si je me suis renseignée et que c’est très technique en fait! Il faut avoir tout sauf la tête en l'air!

Macarons par P. Hermé
Questions FCS/
Anne Berest/
Un plaisir  vautré : lire, des sucreries  à porté de main
Un plaisir gourmand : mes goûts culinaires sont en fait très bizarres, choux de Bruxelles, foie de morue, épinards… je raffole de ce que tout le monde déteste généralement !
Un plaisir littéraire : cette semaine, j'ai relu pour la 10e fois "Gatsby le magnifique" de Francis Scott Fitzgerald ; c’est inouïe. Et découvert "Maria avec et sans rien" de Joan Didion, et "Life" de Keith Richards. En fait mon plaisir, c’est de beaucoup beaucoup beaucoup  lire.
Un plaisir seule : pouvoir assouvir certaines maniaqueries avouables - le rangement- ou inavouables…
Un plaisir accompagné : boire de l’alcool. C’est un plaisir que je ne n’aime qu’à plusieurs.

 En plus, d'écrire très bien des romans, Anne Berrest qui est en phase d'écriture du 2e, a fondé une maison d'édition, Porte plume, spécialisée dans la biographie ou le livre de cuisine de personne comme vous et moi, lambda quoi. Elle m'a aussi parlé d'un très bon livre à venir en janvier 2011, Mikado,  de Claire Berest, sa soeur (ed. Léo Scheer). Et sans fierté mal placée mais avec un peu d'auto-promo fraternel, elle le décrit comme un livre "au style hallucinant". J'ai hâte de lire ça! Encore un grand merci à elle.

Les photos et dessins d'Anne sont de son fiancé, Stéphane Manel, dessinateur.

1 commentaire:

  1. Haaa trop bien cette interview... Et effectivement je confirme, pour être contrôleur aérien il faut tout, sauf la tête dans les nuages! Après un bac S et une école d'ingénieur je n'avais jamais vu le côté poétique de ce métier... mais j'en suis ravie!
    Alors merci pour les dédicaces, Melles A, aussi bien l'une que l'autre!

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