samedi 20 novembre 2010

Négatifs off (épisode 2)


On continue le mois de la photo off, à la Galerie W et avec Philippe Vermès et Wanted bikers

Une vieille Harley rutilante au milieu d’une galerie photo, c’est pas banal. Des formes qui invitent à prendre la route, la légende du biker qui résonne comme un chant de sirène habillée de cuir et recouverte de tatouages, l’engin est au centre d’une expo photo sur des bikers américains et ça a déjà plus de sens. Puis un flash crépite. Et un autre. Un couple d’amoureux prend la pose, la moto en témoin sauvage et à la fois solennel, dans ce studio improvisé avec une chambre en bois des années 50, à la Galerie W. Derrière le tissu, un homme, Philippe Vermès. Portraitiste, il a réalisé un livre sur les bikers, fin des années 1980. Aujourd’hui, il s’assoie quelques instants dans le Fauteuil pour parler de ces hommes à qui il a consacré un livre, de leur légende mais aussi cette expo à la Galerie W. En route avec les Wanted Bikers et Philippe Vermès.

FauteuilClubSandwich/ Qu’elle est votre première expérience avec les bikers américains ?
Philippe Vermès/ Il s’est trouvé que je passais les vacances chez ma femme, dans le New Hampshire. Fin juin, il y avait un rendez-vous de bikers à Laconia, ils se promenaient là-bas avec leur moto, et je les voyais passer pour aller au rassemblement. Je me suis demandé qui ils étaient, d’où ils venaient et j’ai eu envie de faire leur portrait. Alors, j’ai monté une espèce de tente avec un petit studio et ma chambre en bois qui date des années 1950. Eux étaient intéressés par cet appareil et moi par leur aspect.

FCS/ C’était le début de l’aventure ?
Philippe Vermès/ Oui. Après, on est allé à Sturgis, dans le South Dakota, où il y a un autre rassemblement avec près de 200 000 bikers, au début du mois d’aout. Sturgis a un cadre particulier, il a un peu plus loin le Mont Rushmore (où sont sculptés dans la roche les 4 présidents des USA), ainsi qu’une réserve d’indien et Rapid City qui a servi de décor naturel pour beaucoup de films. On a donc pris la caravane, on a traversé les Etats-Unis puis on a installé la tente et le studio près d’un stand de réparation de moto et on a distribué des affichettes « Wanted bikers ».

FCS/ Les motards sont souvent perçus comme des personnes difficilement à saisir et pourtant sur les photos, ils posent presque comme sur des photos de familles, avec leur moto. Comment avez-vous réussir à capter leur attention ?
Philippe Vermès/ Ce qui les intéressait, c’est qu’ils repartaient avec leur photo tout de suite, car je leur donnais le polaroïd et je gardais le négatif pour faire des tirages plus tard. Les bikers sont venus se faire photographier avec leur engin et ils étaient fiers de se montrer, de poser avec leur moto comme des chevaliers sur leur monture dans les temps anciens. La moto est quelque chose de simple, on l’enfourche, on roule puis on est libre. D’ailleurs, les motards se rassemblaient là bas pour deux raisons : la devise de l’état qui leur ressemblait « live free or die » (cf. Vivre libre ou mourir) puis le New Hampshire n’imposait pas le port du casque.

FCS/ La moto est comme un prolongement d’eux-même ?
Philippe Vermès/ Ils sont accrochés à leur machine, ça fait parti d’eux, et avec leur veste, les lunettes, c’est comme un apparat. Ainsi, ils se sentent eux-mêmes et ils donnent quelque chose ; c’est ça qui se ressent sur les photos, qui fait leur force.

FCS/ Vous êtes vous-même un biker ?
Philippe Vermès/ J’ai été biker pendant quelques années, puis j’ai arrêté car on m’a volé ma moto. Aujourd’hui c’est mon vélo que l’on vient de me voler !

FCS/ Très vite est née l’idée du livre* ?
Philippe Vermès/ J’ai ramené une grande quantité d’image de ces rendez-vous avec une maquette de livre. A New York, j’ai eu l’idée, parce que j’habitais juste à côtés de ses bureaux, de contacter Malcom Forbes (cf. directeur du magazine économique éponyme). Il a rapidement été d’accord pour faire la préface du livre si on trouvait un éditeur. L’année d’après, je me suis retrouvé dans un stage de photographie dans le Maine et j’ai montré cette maquette aux éditeurs présents. Un fut intéressé. Puis, sur place, il y avait AD Coleman, journaliste critique photographique au New York Times et il était ok pour faire le livre avec moi et écrire les textes.


FCS/ Que cela soit votre travail sur les bikers que sur les bâtisseurs ou les autres séries, vous vous placez toujours comme portraitiste. Pourquoi avoir choisi le portrait ?
Philippe Vermès/ J’aime le contact avec les gens, le rapport avec quelqu’un. Mais ce n’est pas évident de prendre quelque chose des gens, qu’ils donnent d’eux. Dans mon travail avec la chambre en bois, il y a un intérêt, ça rajoute quelque chose. Il y a un rapport différent parce qu’il y a un instrument entre moi et eux, et un tissu aussi derrière lequel je suis. J’explique comment la chambre fonctionne ce qui suscite un grand intérêt et surtout, ils repartent tout de suite avec leur photo. Il y a donc une double pérennité de l’image, celle qu’ils gardent et celle que je tire en noir et blanc après sur la base du négatif, en 150cm x 120cm.

FCS/ Et pourquoi principalement des tirages en noir et blanc ?
Philippe Vermès/ Ça a un côté artistique, proche des racines, d’autant que pour les bikers ça correspond bien à leur caractère solitaire. J’avais l’impression d’être comme les premiers photographes qui sortaient avec leur chambre, tel Mathew Brady (1823-1896), un des premiers photographes américains, notamment de la guerre de Sécession ou portraitiste d’Abraham Lincoln ; j’avais ainsi l’impression de prendre en photo, le « nouveau américain ». Le noir et blanc magnifie les portraits, on est pris par la lumière, les contrastes et non pas par des détails.

FCS/ Vous auriez envie de retrouver ces bikers, 20 ans après ?
Philippe Vermès/ C’est une idée ! J’ai l’adresse de tous ces gens-là. Il faudrait que je leur écrive et que j’aille les voir chez eux pour les prendre dans leur lieu de vie. Et pourquoi pas même avec la moto au milieu du salon ! On pourrait aussi retourner faire un reportage lors d’un rassemblement. Notamment au « million mile » dans le Milwaukee, qui est un rassemblement d’Harley Davidson, qui s’apparente à un pèlerinage, près de la première usine d’Harley, avec une sorte de petite cérémonie pour les bikers. C’est comme une religion pour eux et ils ont à cœur de montrer ce côté très respectueux des valeurs.

FCS/  A travers vos photos et la façon dont vous parlez d’eux, on a l’impression que vous voulez réhabiliter ces bikers, pour quelles raisons ?
Philippe Vermès/ Ils ont toujours été vus comme des sauvages, chassés par la police lors des premiers rassemblements, parce qu’ils étaient vus comme des gens qui buvaient beaucoup. Et puis ils avaient mauvaise presse avec les Hells Angels ou des films comme « Easy riders » ou « L’équipée sauvage » (« The wild one », avec Marlon Brando). Tout ça avait un côté sulfureux. En fait, ils voulaient montrer qu’ils étaient comme tout le monde, juste des gens libres, sur la route, avec leur moto. Les rassemblements sont un moyen pour eux de se retrouver, et de composer leur apparat en personnalisant encore plus leur machine, ou pour leur blouson en cuir ou leur tatouage.

Questions FCS/
Philippe Vermès/
Un plaisir vautré/ J’ai beaucoup de mal à me vautrer, je suis tout le temps en activité, à bouger.
Un plaisir gourmand/ J’aime beaucoup faire la cuisine, notamment des madeleines ou des tartes tatins
Un plaisir littéraire/ Je sors mes livres de photographes, Irving Penn, Richard Avedon, Robert Frank.
Un plaisir seul/ Quand je me retrouve dans mon labo et que je fais des tirages de portraits, j’ai besoin de m’isoler des heures à ce moment-là.
Un plaisir partagé/ Les rassemblements justement. J’aime les gens qui se retrouvent pour faire la fête.

La prochaine exposition de Philippe Vermès sera à la Mep à la fin de l'année.

Galerie W
Tous les jours de 10h30 à 20h, entrée libre
Présence de Philippe Vermès tous les week-ends
44 rue Lepic Paris 18e

*Straightening Out The Corners: Portraits of American Bikers and their Bikes, Iris Publications


Encore merci à Philippe Vermès pour son temps dans son (magnifique) atelier parisien du 4e, et son amour des bikers.
La dernière photo est une vraie photo de "famille" de Philippe Vermès.

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