A l’origine, il y a le livre. Puis, derrière celui-ci, l’auteur. Le livre, je lui tournais autour, sans me laisser attraper. Début décembre, une séance de dédicace me donne l’occasion de croiser l’un et l’autre, le livre et l’auteur. Quelques mots couchés plus tard, une dédicace sur la deuxième page, je revenais sur mes pas, pour demander une interview ; sans avoir lu le livre, sans raison apparente, sans y penser. L’auteur était magnétique, il a dit oui après hésitation, peut-être rapport au titre, Les aimants. Tout cela n’aurait pas été si important s’il n’y avait eu cette histoire en cent pages. Une histoire comme un rêve, pourtant si réelle, à en couper le souffle. La disparition d’Ava est un prétexte pour le narrateur de se retourner sur les vingt-cinq dernières années, de se rendre compte de l’essentiel, elle. Beauté flou, en retrait de la vie, sans jamais en être loin ; point d’encrage malgré tout. Ce roman je l’ai lu d’une traite, la respiration en suspens jusqu’au dernier mot, dans mon fauteuil, nul part autre ailleurs. La rencontre avec l’auteur a suivi, tout aussi déstabilisante et particulière que le roman. Voici pour vous, une rencontre. Bienvenue au Club à Jean-Marc Parisis, une place de choix sur le Fauteuil, qui peut revenir s’y installer dès qu’il le souhaite.
Jean-Marc Parisis/ Á un point mystérieux. Ce texte est tiré de la vie. C'est le portrait d’une femme à la féminité secrète, presque mystique. Une femme qui demande à la fois liberté et protection. C’est aussi l’histoire d’un rapport dans le temps entre un homme et une femme, avec ses enchantements et ses maléfices. Les deux personnages, ces « aimants », sont en quelque sorte des jumeaux, doués d'une fraternité d’âme presque idéale, peu faite pour le quotidien. C'est une relation belle mais dangereuse, qui a sans doute empêché le narrateur de vivre autre chose, avec d'autres femmes. Il en revenait toujours à la lumière d'Ava.
FCS/ Pourquoi avoir choisi ce titre, "Les aimants", qui joue sur une phonétique proche des « amants » et renvois à l’image de contraires qui s’attirent ?
Jean-Marc Parisis/ Le titre a été trouvé avec mon éditeur, Jean-Marc Roberts. Aimants, Les aimants... Par une coïncidence qui n'en est pas une, c’est le dernier mot de mon premier roman, La mélancolie des fast-foods. C'est étrange et, en même temps, cela boucle quelque chose.
FCS/ L’histoire entre Ava et le narrateur commence sur les bancs de la Sorbonne au début des années 1980. Est-ce qu’elle aurait pu être transposée et trouver son origine aujourd’hui ?
Jean-Marc Parisis/ Non. Dans les années 80, les téléphones portables, les mails, les sms n'existaient pas, on avait la paix. Au contraire de ce qui se passe aujourd'hui, la technique n’incitait pas à une présence continuelle, névrotique, auprès de l’autre. On se donnait du temps. On ne théorisait pas l’amour, on le vivait. Le narrateur le dit d’ailleurs : « Je me demande même si l'on savait qu'on s’aimait. » L’important était d’avoir une personne comme Ava à ses côtés. Même quand elle n'était pas là.
FCS/ Ava est une « Parisienne », avec tout ce que ça comporte de mystérieux. Le narrateur vient de banlieue, obligé de passer par le parvis de Montparnasse pour rejoindre ce monde. Cette différence d’origine est-elle si importante ?
Jean-Marc Parisis/ Le narrateur et Ava ne viennent pas du même milieu social. Au départ, il est impressionné par sa prestance. Il se demande comment elle peut aimer un type comme lui. En fait, elle n'a peut-être aimé que lui. Et ils se sont beaucoup donné, même s’ils se quittent. D’ailleurs si le narrateur quitte Ava, c’est pour mieux la retrouver. Il quitte sa chair, pas son esprit. Et ils recommencent une autre forme d'histoire, aussi terrienne que céleste. Cela ne s'arrête jamais, jusqu'à la mort.
FCS/ Quel genre de femme est Ava ?
Jean-Marc Parisis/ C’est une femme qui vit dans les livres, la musique des mots. Elle peut se passer du monde, d'ailleurs elle sort peu, elle a peu d'amis. Les hommes ont besoin de contact, leur désir est plus physique. Ava s’abstrait, vit dans sa bulle de poésie. C’est son choix, un choix dangereux, peut-être empoisonné, fatal.
FCS/ Puis Ava meurt. Le narrateur se retrouve seul, et revient sur une relation longue de vingt-cinq ans. Comment se sort-il de cette mort ?
Jean-Marc Parisis/ Le narrateur ressort souillé, blessé, marqué par la disparition d'Ava. Il y a quelque chose de cassé, d’irrémédiablement fini en lui. Il ne peut pas l’oublier, il prend la mesure de l’absence. Elle n’est plus là et ça change tout, le monde bascule, devient un décor, une ville fantôme. Il envisage de quitter Paris. Ailleurs, peut-être, qu’une autre vie commence... Mais ce n'est pas sûr.
FCS/ Ce livre fait-il partie d'une sorte de libération ?
Jean-Marc Parisis/ Les livres peuvent sauver, plus ou moins. Je l’ai écrit très vite, en réaction à la mort qui m’avait souillée. D’un tempérament plutôt joyeux, je n’avais pas prévu que la mort vienne brouiller ma vision de la vie. Ce livre n’était pas prévu. Mes prochains livres aborderont d'autres sujets. Celui à venir s’intitule Il faudra nous tuer, c’est une lettre à un ami absent. Une critique sanglante de notre époque. Une critique politique, mais aussi spirituelle : une sorte d'étude de l'avilissement des hommes et des femmes.
FCS/ Et quand vous n’écrivez pas, vous faites quoi ?
Jean-Marc Parisis/ J'aime beaucoup l'esprit et la langue du 17eme siècle, Mme de Sévigné, Retz, Saint-Simon. Et Je lis toujours Balzac. J'aime aussi beaucoup le cinéma américain, des années 1940 aux années 1970. Je vous recommande Les Amants de la nuit de Nicholas Ray, avec Farley Granger et Cathy O’Donnell. Un film que je vais toujours voir seul, pour rester avec Cathy O’Donnell (ndlr, photo ci-dessous).
FCS/ Et pour finir :
Jean-Marc Parisis/
Un plaisir vautré : Jamais. Le plaisir vautré n'est pas du plaisir
Un plaisir gourmand : Les huîtres
Un plaisir littéraire : Chateaubriand
Un plaisir seul : La marche
Un plaisir partagé : L'amour, quand il ne se dit pas
L'actualité de Jean-Marc Parisis, c'est aujourd'hui 6 janvier, avec la sortie en poche de son premier roman La mélancolie des fast-foods. Il y a aussi Renvoi d'ascenseur (2005), très incisif état des lieux de la banlieue. Ruez-vous sur Les aimants, lisez-le, relisez-le, offrez-le, partagez-le.
la première chose que j'ai pensé en lisant cette interview c'est "à quand le prochain jeu sur FCS pour pouvoir gagner ce livre" (en espérant bien sur le gagner pour moi!!)
RépondreSupprimermais après avoir lu la suite, je me demande si ma lecture n'en serait pas gachée de savoir, avant même de l'avoir commencé, que Ava meurt???
je m'en remettrai à vous chère Melle A, (à moins que JMP ne me réponde en personne...)
Melle MB
Je suis un peu du même avis que Melle MB. Mais il paraît que cela ne gâche en rien la beauté du livre...
RépondreSupprimerAlors courons donc nous aimanter
Melle V
To Mesdemoiselles MB et V: Je vous confirme que cela ne gâche en rien ce magnifique roman, puisqu'il s'agit même du point de départ. Alors oui, Aimantez-vous!
RépondreSupprimerUne rencontre sur les bancs de la Sorbonne... c'est presque notre cas ça ! Bon, ceci étant une parenthèse d'introduction (figure de style que je viens d'inventer), je poursuis.
RépondreSupprimerJe n'ai pas lu ce livre... pas encore du moins. Je dois avouer que ce type d'histoire ne m'enchante pas vraiment d'habitude. Mais plus j'avancais dans l'interview, plus je suis passé à un "pourquoi pas", puis à un "ok, il est sur ma liste". Je me suis tout simplement reconnu dans plusieurs détails, mais là on attaque ma vie perso et je crois bien que si je continue, ça te ferait perdre des lecteurs.
Alors même si JMP n'est pas JMM, même s'il ne boxe pas dans la même catégorie, même s'il ne prend pas de gant, j'ai apprécié cette itw, bien que l'aimant n'ait pas fait son effet au point de me faire lire ce livre en priorité. En espérant que lui ait apprécié le Fauteuil à sa juste valeur.
Maintenant, je t'ordonne de me répondre :-)
Monsieur MB
JMP n’est en effet pas JMM (Jean-Marc Mormeck, pour tout le monde), même si parfois il ne met pas de gants, que ses "poings" sont des "points" et ses mots parfois des uppercuts qui mettent au tapis. En tout cas ravie que cette interview t’ai donné envie de me piquer le livre. A bientôt.
RépondreSupprimerUn lopin de mots à découvrir : http://braconnages.blogspot.com/
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